Page:Schelling - Écrits philosophiques, 1847, trad. Bénard.djvu/575

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ments. Ce principe du naturel, qui bannit complètement l’art proprement dit, s’oppose de la manière la plus frappante au système artificiel, qui n’estime une production de l’art que d’après la mesure de l’habileté et du travail qui s’y fait remarquer à la surface. Il proclame, par conséquent que la difficulté vaincue est la principale source du plaisir que nous font éprouver les œuvres de l’esprit dans les beaux arts ; qu’ainsi, par exemple, une tragédie en vers rimés, où l’on a rendu possible qu’une action se passât dans une seule chambre, dans l’espace de quelques heures, est une chose admirable. De pareils jugements montrent, de la manière la plus claire, les vues étroites et bornées qui dominent dans la pratique de l’art. En effet, pour un maître qui a su atteindre le grand et le vrai, remplir les conditions mécaniques de l’art doit paraître une bagatelle. Si la difficulté se fait encore remarquer dans l’œuvre d’art, c’est qu’elle n’est pas bien vaincue. L’est-elle parfaitement ? elle ne se montre plus à l’œil, elle ne se révèle qu’aux connaisseurs aidés de leur propre expérience ; mais elle n’a, du reste, rien de commun avec la jouissance artistique. Boileau n’a pas eu honte de comparer la poésie à l’art de faire passer des lentilles par une petite ouverture[1], et il a ainsi, sans doute, justifié la sienne. Mais si, en général, il n’y a rien au-delà, les poètes ne méritent pas d’autre récompense que celle qu’Alexandre fit accorder à un homme qui lui avait été recommandé pour son habileté merveilleuse à lancer des lentilles.

Quant au naturel, relativement aux personnages repré-

  1. Je ne sais où le critique allemand a trouvé cela dans Boileau. On reconnaîtra ici, comme plus loin, un des chers Je la réaction littéraire qui s’opéra en Allemagne contre la France, à la fin du dernier siècle, et, en particulier, l’adversaire passionné, souvent aveugle, des écrivains du siècle de Louis XIV. (Note du traducteur, C. B.)