Page:Schiff - Marie de Gournay.djvu/57

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On pouvait sourire des manies de Marie, on pouvait tourner en ridicule sa profonde affection pour ses chattes Donzelle, Minette et sa mie Piaillon[1], on pouvait comme Puteanus s’écrier avec impatience : « Cette fille se donne-t-elle assez l’air d’un homme ! » mais au fond elle inspirait à tous une estime véritable et un certain respect. Tallemant qui est moins injuste et moins mauvaise langue qu’on ne l’a dit, lui accordait quelque générosité et quelque force d’âme. « Pour peu qu’on l’eût obligée, écrit-il, elle ne l’oublioit jamais. » Sorel, toujours judicieux, a porté sur Mademoiselle de Gournay un jugement qui résume exactement l’opinion de tous ceux qui l’ont fréquentée et qui, sous ses multiples ridicules, ont su comprendre sa véritable nature. Dans sa « Bibliothèque françoise », il encourage ses lecteurs à lire les œuvres de la vieille demoiselle et à ne pas se laisser rebuter par l’emploi qu’elle fait de termes hors d’usage ; il les engage à penser au sens plutôt qu’aux paroles. « Ils connoistront, dit-il, combien cette illustre fille avoit l’esprit ferme et généreux, et comment elle jugeoit sainement des choses. » Et, dans son précieux ouvrage sur « la connoissance des bons livres », le même

  1. L’abbé de Marolles raconte dans la suite de ses Mémoires que, pendant les douze années que Piaillon vécut chez Mademoiselle de Gournay, ce chat ne s’est pas éloigné une seule nuit de la chambre de sa maîtresse pour courir les toits.