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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/126

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minée que par [6] la fusion de deux forces opposées, de ne réaliser chacune de ses pensées éternelles que dans deux figures jumelles hostiles l’une à l’autre, et n’existant cependant que l’une par l’autre, inséparables[1]. Tout ce monde corporel, dont le but suprême de vos investigations est de pénétrer l’intérieur, n’apparaît aux mieux informés et qui pensent le plus parmi vous que comme un jeu éternellement poursuivi de forces opposées. Toute vie n’est que le résultat d’une constante assimilation et élimination ; toute chose ne doit son existence déterminée qu’à sa façon particulière d’unir et de maintenir les deux forces originelles de la nature, l’attraction avide et la vive et vivante expansion.

Cela me semble vrai des esprits aussi, comme si, dès qu’ils sont transplantés dans ce monde, ils devaient obéir à une telle loi. Toute âme humaine — ses actions passagères aussi bien que les particularités intimes de son existence nous conduisent à cette idée — n’est que le produit de deux instincts opposés. L’un de ces instincts est l’effort par lequel elle tend à attirer à elle tout ce qui l’entoure, à l’intriquer dans sa propre vie, et à l’absorber si possible entièrement en l’assimilant à son être le plus intime. L’autre est l’aspiration à développer toujours plus [7] son moi interne du dedans au dehors, à tout en pénétrer, à en communiquer à tout une part, sans être jamais épuisée elle-même. Le premier est dirigé vers la jouissance, il veut atteindre les objets particuliers qui se penchent vers lui, il est satisfait chaque fois qu’il en a saisi un, et n’agit toujours que mécaniquement sur ce qui lui est le plus proche. Le second méprise la jouissance, et ne vise qu’à une activité toujours croissante, toujours plus haute ; il néglige les choses et les phénomènes particuliers, précisément parce qu’il les pénètre ; il ne trouve partout que les forces et les entités contre lesquelles sa propre force se brise ; il veut tout pénétrer, remplir tout de raison et de liberté, il vise ainsi directement l’Infini, et

  1. Esquisse d’une philosophie de la polarité qui s’inspire très probablement surtout de Schelling, Von der Weltseele, 1798, et dont presque rien n’est conservé dans B, où les pages 6 à 41 sont très modifiées ; cf. p. 27. D’autre part, un des passages où le plus nettement, sans paraître s’en douter, l’auteur attribue à sa Divinité une sorte de volonté personnelle.