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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/219

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l’Infini précisément en dehors [146] du fini, de chercher le contraire en dehors de ce à quoi on l’oppose[1]. Mais cette illusion n’est-elle pas des plus naturelle chez ceux qui ne connaissent pas encore le fini lui-même ? Et n’est-elle pas celle de peuples entiers, d’écoles de la sagesse entières ? S’il y avait parmi ceux qui s’occupent de la jeunesse des stimulateurs de la religion, combien facilement serait corrigée cette erreur née de dispositions de la nature elle-même, et avec quelle avidité, en des temps moins obscurcis, la jeune âme ne s’abandonnerait-elle pas aux impressions que produit l’Infini dans son omniprésence. Autrefois, on laissait cette erreur produire tranquillement ses effets. On pensait que le goût des figures grotesques caractérise la fantaisie juvénile en religion comme en art ; on le satisfaisait abondamment ; on allait même, de façon bien insouciante, jusqu’à rattacher directement à ces jeux aériens de l’enfance la mythologie sérieuse et sainte, ce qu’on considérait soi-même comme religion : Dieu, le Sauveur, les anges, n’étaient qu’une autre espèce de fées et de sylphes. De la sorte, il est vrai, la poésie ne donna que trop tôt l’occasion d’introduire et de fixer, par malentendus, de semblables éléments dans la religion à titre de dogmes[2], mais l’homme restait plus abandonné à lui-même, et il était plus facile à un esprit droit, non corrompu, capable de rester libre [147] à l’égard du joug de la compréhension par l’intelligence et la discussion de trouver, dans un âge plus avancé, le chemin pour sortir de ce labyrinthe. Actuellement au contraire, cette inclination est dès le premier instant violemment comprimée, tout surnaturel et merveilleux est proscrit, on ne veut pas que la fantaisie soit remplie de vaines images alors qu’on peut tout aussi facilement y introduire des réalités, et préparer à la vie. Ainsi les pauvres jeunes âmes, assoiffées de tout autre chose, sont soumises à l’ennui d’histoires morales, et on leur apprend comme il est beau et utile d’être bien sage et bien raisonnable ; on les imprègne de notions abstraites de choses communes, et sans tenir

  1. B substitue à cette dernière phrase celle-ci : « et de chercher le spirituel et le supérieur en dehors du terrestre et du sensible ».
  2. Texte de B. A disait en termes moins clairs : « la poésie créa bien assez tôt la base pour les usurpations de la métaphysique au détriment de la religion ».