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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/231

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connexion si longtemps barrée. Celui qui a vu et connaît beaucoup [165] intuitivement et peut alors se décider à faire et favoriser de toutes ses forces une chose particulière pour elle-même, celui-là ne peut se refuser à reconnaître, dans toutes les autres particularités, des choses qui veulent être faites et doivent être là pour elles-mêmes, car sinon il se contredirait lui-même ; quand alors il a poussé aussi haut que possible l’exécution de ce qu’il a choisi, moins que jamais, au sommet de l’achèvement, pourra-t-il lui échapper que cette particularité n’est rien sans tout le reste. Ce qui s’impose ainsi de tous côtés à un homme doué de sens, cette prise en considération de la valeur de ce qui lui est étranger et cet anéantissement de ce qui lui est propre, cette exigence simultanée d’amour et de mépris pour tout ce qui est fini et limité, cela n’est pas possible sans un obscur pressentiment de l’Univers, et doit nécessairement avoir pour suite une plus pure et plus précise aspiration à l’Infini, à l’Un en Tout.

Chacun connaît, par ses propres états de conscience, trois directions différentes du sens : l’une vers l’intérieur vers le moi lui-même, l’autre vers l’extérieur, vers l’indéterminé de l’intuition du monde, et une troisième qui relie les deux précédentes, telle celle-là que le sens, en état de perpétuelle oscillation de la première à la seconde, ne trouve de repos qu’en admettant de façon absolue leur union la plus intime ; la dernière [166] direction est celle centrée sur ce qui est achevé et parfait en soi, sur l’art et ses œuvres. Une seule de ces trois peut être la tendance dominante d’un homme, mais à partir de chacune un chemin conduit à la religion, et la religion prend une figure particulière selon le caractère distinctif de la voie sur laquelle elle a été trouvée. Considérez-vous vous-mêmes intuitivement avec une application indéfectible de l’attention, séparez et éloignez tout ce qui n’est pas votre moi, et continuez ainsi avec un sens toujours plus aiguisé[1] ; plus votre moi disparaîtra ainsi à vos propres yeux[2], plus clairement se présentera à vous l’Univers, plus magnifique sera votre récompense pour la crainte de

  1. C : dirigé avec toujours plus d’acuité sur le pur intérieur.
  2. B fait ici cette adjonction nécessaire : dans ce qui constitue sa personnalité et son existence distincte.