Aller au contenu

Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’anéantissement de vous-mêmes que vous aurez éprouvée, et cette récompense vous viendra du sentiment de la présence en vous de l’Infini. Portez votre regard intuitif hors de vous sur une partie quelconque, sur un élément quelconque du monde, et saisissez-le dans la totalité de son être, mais cherchez aussi à rassembler tout ce qu’il est non seulement en lui-même, mais en vous, en celui-ci et celui-là et partout, répétez votre trajet de la périphérie au centre toujours plus souvent et à de plus grandes distances : bientôt vous perdrez le fini, et vous aurez trouvé l’Univers.

Je souhaiterais, s’il n’était pas criminel d’outrepasser ses propres limites dans ses souhaits, je souhaiterais de pouvoir distinguer par une intuition non moins claire comment le sens de l’art, [167] pris en lui-même, se transforme en religion, comment malgré le calme dans lequel toute jouissance isolée plonge l’esprit, ce dernier se sent néanmoins poussé à réaliser les progressions qui peuvent le conduire à l’Infini. Pourquoi ceux qui peuvent avoir parcouru cette voie sont-ils des natures si taciturnes ? Je ne connais pas cette voie ; c’est dans cette direction que je me sens le plus strictement limité, c’est la lacune que je sens profondément en moi, mais à l’égard de laquelle aussi j’agis avec respect. Je me résigne à ne pas voir, mais je crois. La possibilité de la chose est claire à mes yeux, bien qu’elle doive rester pour moi un mystère. Oui, s’il est vrai qu’il y a des conversions rapides, des instigations à la suite desquelles chez un homme qui ne pensait à rien moins qu’à s’élever au-dessus du fini, en un moment comme par une illumination intérieure immédiate, le sens pour l’Univers s’ouvre, et ce dernier le surprend par le foudroiement de sa magnificence : oui, s’il en est ainsi, je crois que plus que toute autre chose la vue de grandes et sublimes œuvres d’art peut accomplir ce miracle. Seulement, je ne le saisirai jamais. D’ailleurs, cette croyance vise l’avenir plutôt que le passé ou le présent[1].

Trouver l’Univers sur la voie de la contemplation

  1. Nous avons ici un aveu d’infirmité esthétique dont il faut approcher la modeste sincérité, et dont on devrait tenir compte dans le reproche, en partie seulement justifié, qu’on fait au romantique, de confondre la religion avec le culte de l’art.