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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/312

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Quand les disciples demandèrent un jour à Jésus : « Qui a péché, ceux-ci ou leurs pères ? » et qu’il leur répondit : « Pensez-vous que ceux-ci aient péché plus que d’autres ? » la question exprime l’esprit religieux du judaïsme dans ce qu’il a de plus tranchant, et la réponse de Jésus formule sa polémique à cet égard[1]. De là vient le parallélisme dont la sinuosité se prolonge partout, qui n’est pas une forme fortuite ; de là le tour de dialogue qui se rencontre ici dans tout ce qui est de caractère religieux. Toute l’histoire, alternance continue de cette stimulation et de cette réaction, est présentée comme un entretien entre Dieu et les hommes, entretien à la fois en parole et en acte, et tout ce qui se trouve là réuni ne l’est que par l’égalité dans ce traitement. [289] De là le caractère sacré de la tradition, qui contient le solidaire ensemble de ce grand entretien ; de là l’impossibilité d’atteindre à la religion autrement que par l’initiation à cet ensemble ; de là, à une époque tardive encore, la polémique entre les sectes au sujet de la possession de cet entretien continu.

De cette façon de voir résulte encore que, dans la religion judaïque, le don de prophétie est complètement développé comme dans aucune autre, car, dans le prophétisme, les chrétiens ne sont, comparés avec elle, que des enfants. Toute cette conception est en effet des plus enfantines, adaptée au cadre d’un petit théâtre, où ne se produisent pas de complications, de telle sorte que, au sein d’un monde simple, les conséquences naturelles des actions ne sont ni déviées ni empêchées. Mais à mesure que les adeptes de cette religion progressèrent sur la scène du monde et se trouvèrent en relations avec un plus grand nombre de peuples, la mise en relief et en lumière de cette idée devint plus difficile, et la parole que le Tout-Puissant avait à prononcer avant l’événement, l’imagination devait l’anticiper, prévoyant de loin le second moment du même événement, et supprimant le temps et l’espace entre ces deux moments. C’est là ce qui constitue une prophétie, et le zèle à prophétiser devait nécessairement rester une [290] manifestation maîtresse du judaïsme aussi longtemps qu’il fut possible de maintenir valide cette idée, et avec

  1. Jean IX, 2 et 3.