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Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/325

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collectionner comme monuments du monde primitif, et de les déposer dans les magasins de l’histoire ; leur vie a pris fin et ne recommencera jamais.

Supérieur à elles toutes, à la fois plus historique et plus humble dans sa magnificence, le christianisme a reconnu expressément cette limite de durée de sa nature : un temps viendra, dit-il, où il ne sera plus question de médiateur, où le Père sera tout en tout[1]. Mais quand ce temps doit-il venir ? Je crains qu’il ne soit hors de toute époque du temps. La corruptibilité, dans les choses humaines et finies, de tout ce qui est grand et divin, constitue une des moitiés de l’intuition originelle du christianisme. Un temps devrait-il vraiment venir ou cette corruptibilité — je ne veux pas dire ne serait plus du tout perçue — mais seulement, ne serait plus le fait qui s’impose à l’attention ? Où l’humanité progresserait si également et tranquillement qu’on remarquerait à peine comme, parfois, elle est repoussée en arrière, par un vent contraire passager, sur le grand océan qu’elle traverse, si bien que, seul le spécialiste qui calcule [309] ce parcours d’après les astres, aurait connaissance de ce fait, qui pour les autres humains, ne serait jamais un grand et remarquable objet d’intuition ? Je le souhaiterais et[2], je vivrais volontiers sur les ruines de la religion que je révère. L’autre moitié de cette intuition, c’est que certains points brillants et divins sont ceux d’où part originellement toute amélioration de cette corruption, et toute nouvelle et plus étroite réunion du fini et de la divinité. Un temps pourra-t-il jamais venir où cette force, qui attire à l’Univers[3], serait si également répartie dans la grande masse de l’humanité, que ceux qui sont plus puissamment saisis par elle cesseraient d’être des médiateurs pour cette masse ? Je le souhaiterais, et j’aiderais volontiers à aplanir toute grandeur qui s’élève ainsi ; mais cette égalité est sans doute moins possible que n’importe quelle autre. Des époques de corruption attendent et menacent tout ce qui est terrestre,

  1. Il s’inspire sans doute, non sans en forcer un peu le sens, de la parole de saint Paul dans la 1re aux Corinthiens, XV, 28 : « Et lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous ».
  2. C ajoute : à cette condition.
  3. C : qui nous attire vers l’Être suprême.