Page:Schleiermacher - Discours sur la religion, trad. Rouge, 1944.djvu/62

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constance sur le fait que ce sens ne saurait être inculqué, et se prête très peu à être développé du dehors ; on peut bien agir sur la raison par des raisonnements, il y a là une sorte d’action mécanique qui peut être exercée, mais le sentiment en question est une fonction organique de l’âme, on ne saurait pas plus agir sur un tel développement organique que sur celui d’une plante. La comparaison ici peut sembler aussi contestable que l’idée : ne peut-on pas agir indirectement sur le développement spirituel par une atmosphère favorable, comme sur la croissance d’une plante en la protégeant contre les intempéries ou par l’arrosage et l’amendement du sol ? Nous verrons d’ailleurs Schleiermacher le reconnaître tout à l’heure. Ce qui est à relever ici, c’est l’opposition, si fréquemment formulée par le romantisme, très souvent évoquée dans ces Discours, entre le mécanique et l’organique, page 139.

Tout ce qu’on peut faire, d’après Schleiermacher, en faveur de ce sens inné, c’est s’abstenir de le comprimer et de l’étouffer. Ce qui peut produire un tel anéantissement, ce ne sont pas, prétend l’auteur, les railleries des sceptiques, ni l’immoralité des sans scrupules (page 144). Négations bien absolues, caractéristiques de ce qu’il y a parfois de peu réfléchi, de peu mesuré et de peu solide dans ces propos du jeune théologien. D’autant plus que le romantique minimise ces dangers pour mettre au premier plan et grossir celui qui, d’après lui, vient du bon sens pratique. Les grands ennemis de la religion, déclare-t-il, ce sont les hommes raisonnables et pratiques, ceux « qui ont la rage de vouloir comprendre », page 144. En 1806, il reconnaît qu’il avait trop incriminé la raison, dans sa fonction la plus normale, et remplace « comprendre » par « supputer et expliquer ».

Le remède contre ce mal, c’est le goût nostalgique du merveilleux et du surnaturel, goût auquel est si portée la jeunesse, qui aspire naturellement à plus haut que les richesses de ce monde. Elle cherche à satisfaire ce besoin par la lecture de poèmes qui mettent en scène des êtres supraterrestres. Elle a tort sans doute, de chercher ainsi l’Infini en dehors du fini, remarque l’auteur, par application d’une idée dont nous avons constaté l’importance dans sa doctrine. Mais, continue-t-il, la pédagogie rationnelle de l’époque a plus tort encore de ne pas laisser la jeunesse