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sion en corporations que revient le système de main droite et de main gauche. Par là, le régime prend une couleur sociale qui parait avoir frappé notre missionnaire. Pour désigner les castes, il se sert du mot lignée ou famille. Or ce terme trouve son équivalent dans le terme jâti, au pluriel jâtayas, qui comme le gens, gentes des Latins, désigne en gros ce qu’au sens ordinaire la famille est en petit. Gens dicitur, quæ ex multis familiis conficitur[1]. Nous y reviendrons.

Passons aux voyageurs français.

Ils commencent leurs explorations dans l’Inde au xviie siècle. Tavernier est le premier qui parcourut le pays en tous sens, et il y séjourna longtemps, plus de temps même que son contemporain, le médecin Bernier.

Tavernier était un très habile marchand orfèvre ; il y avait des moments où il ne voyait qu’or, diamants et rubis et se montrait plus âpre au gain que M. Josse. Toutefois cela ne l’empêchait pas de bien observer la société au milieu de laquelle il se trouvait. Ainsi il commence ce qu’il va nous dire sur les castes, en remarquant qu’un « idolâtre ne mangera pas du pain et ne boira pas de l’eau dans une maison qui sera d’une autre caste que la sienne, à moins qu’elle ne soit plus noble et plus relevée, et ainsi ils peuvent tous manger et boire dans les maisons des Bramines qui sont ouvertes à tout le monde. » L’observation du voyageur est conforme en ce que la loi stipule sur les devoirs d’hospitalité du maître de maison[2]. Tavernier explique ce que c’est qu’une caste. « Une caste, dit-il, est à peu près parmi les idolâtres, ce qu’estoit anciennement une tribu parmi les Juifs. » Cette définition n’est sans doute pas heureuse, mais passons. « Bien que l’on croye vulgairement, continue notre voyageur, qu’il y a septante-deux de ces castes, j’ay sçû des plus habiles d’entre leurs prestres qu’on les peut réduire à quatre principales, dont toutes les autres ont tiré leur origine[3]. »

Il ne faut pas s’étonner que Tavernier ait dû recourir aux prêtres les plus habiles pour savoir au juste le nombre des castes. De son temps, il était bien rare, que quelqu’un, même parmi les Indiens du commun connût des grandes castes d’autre que celle toujours patente et visible des brâhmanes. Tout le monde a toujours connu la caste brâhmanique. « Les brâhmanes, dit l’Indien, sont mes dieux : brâhmana mama de-

  1. Paul Diac. s. v. Gens Aelia, p. 94 ; éd. Muller.
  2. V. ce que Mân. III, 94, 99,105 sqq est dit sur les devoirs d’hospitalité d’un maître de maison, grihamedhî ou grihasttha, toujours investi du cordon sacré. L’hôte, quel qu’il soit, quand même il arriverait trop tard, séjournera dans sa maison et y mangera. Encore à l’heure qu’il est, dans l’Inde entière, on ne cesse d’exercer l’hospitalité la plus large envers les voyageurs, et les poètes tant Hindoustanis que Tamils s’exercent à chanter une vertu, dont l’omission rend inutiles devant Yama, le juge des trépassés, les plus grandes pénitences.
  3. V. les Voyages de Tavernier, II p. 1. III, ch. III, p. 367, éd. Paris, 1676.