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« Les moins estimées des quatre-vingt-quatre tribus sont celles des Piriaves et des Der ou Halalcour, à cause de leur saleté, et ceux qui les touchent se croyent pollués. Les Piriaves s’employent à recueillir et à porter les peaux des besties, et quelques-uns sont corroyeurs. »

L’auteur continue ses remarques sur les classes impures, à l’égard desquelles il fait erreur, en prenant l’effet, la saleté, pour la cause de leur abjection. Cette cause est avant tout dans le mélange illicite des castes[1] ; puis il remarque avec Tavernier, et comme l’ont vu aussi un grand nombre d’autres voyageurs, que « toutes ces castes ou tribus adorent l’idole qu’ils (sic) veulent, sans estre obligez de s’attacher à celuy à qui le temple est dédié, si leur dévotion ne les y convie. » Retenons ce fait, il a son importance dans la politique du régime. D’ailleurs « tous ces gentils ne s’allient jamais hors de leur caste, et les quatre-vingt-quatre tribus observent entre elles un ordre de subordination. Les Banians cèdent aux Courmis, les Courmis aux Raspoutes ou Çatris, et ceux-cy, comme tous les autres, aux Bramens ; et ainsi les Bramens sont les premiers des gentils, et les plus distinguez. Cela fait qu’un Bramen se croirait profané s’il avoit mangé avec un gentil d’une autre caste que la sienne, quoique tous ceux des autres castes puissent manger chez lui. » L’observation est exacte, nous l’avons remarqué déjà, mais seulement dans les cas où il s’agit d’exercer l’hospitalité. Hors de là, le brâhmane, loin de pouvoir manger avec un çûdra, ne doit pas même lui donner les restes de son repas[2]. Pour le brâhmane cependant, il peut, s’il meurt de faim, kshudhâ, impunément manger avec le membre de n’importe quelle caste ; la seule compagnie qui lui est absolument défendue dans les circonstances ordinaires, celle des classes abjectes, prâtikûlam[3], lui est permise dans ce cas extrême[4]. Le code a soin d’autoriser cette énormité par des exemples, « Viçvâmitra, dit-il, qui certes connaissait la distinction du bien et du mal, succombant de besoin, mangea une aile de poulet ? non, il mangea la cuisse d’un chien qu’il avait reçue, horresco referens ! de la main d’un Candâla : Çvajâghanîn candâlahastâd âdâya[5]. Un autre brâhmane, également illustre et ennemi de tout péché, faillit même dévorer son propre fils, sans pour cela pécher le moins du monde : na câlipyata pâpena[6]. Et pour que nul n’en ignore, il est hautement stipulé que le brâhmane qui se trouve en danger de mourir de faim, peut prendre le bien d’autrui sans demander la permission, voler en un mot : upalabhyate[7].

  1. Mânav., X, 24, sqq.
  2. Mân., IV,80.
  3. Mân., IV, 33, 79.
  4. En danger de mourir de faim, il peut recevoir à manger de n’importe qui, yatastatah. (Mân., X, 104 ; Yajn.,III, 41).
  5. Ib., X, 108.
  6. Id., X, 105.
  7. Mân., XI, 17. Pour être autorisé à voler, il faut qu’il ait souffert la faim pendant trois jours, dit Yajnavalkya : vubhukshitas tryahan sthitva (III, 43).