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J’en viens à Bernier. Ce savant demeura douze ans dans l’Inde, et en passa la plus grande partie comme médecin au service d’Aureng Zeyb. Bernier est le premier, que je sache, qui se soit avisé de rattacher le système des castes aux Védas, qu’il nomme Beths, comme Thévenot et d’autres. « Suivant la doctrine de ces livres, dit-il, les Indiens doivent estre distinguez, comme ils le sont effectivement, en quatre tribus, la première de Brahmens, ou gens de loy ; la seconde de Quetterys, qui sont les gens de guerre ; la troisième de Bescués, ou marchands, qu’on appelle communément banyanes, et la quatrième de Seydra, qui sont les artisans et laboureurs ; en sorte que ces tribus ne se puissent point allier les unes avec les autres. »

Bernier, ce « vrai philosophe », comme l’appelle Voltaire, n’avait certainement pas trouvé le système des castes dans le Véda, qu’il n’avait pas lu ni même vu, je pense ; mais on regrette qu’il ne dise pas son opinion sur l’origine et le développement du régime. Peut-être, s’il avait connu la genèse du Purushasukta, « en aurait-il voulu caution », comme des autres croyances des Indiens. Malgré les « Pendets qui estiment livres sacrez les Beths et autres ouvrages » dont il a vu a « une grande sale toute pleine dans Benares », il assure que le tout n’est qu’un « fatras fabuleux[1] ».

Un autre auteur de l’époque, La Croze, ne connaît pas de visu les castes, et ce n’est qu’incidemment qu’il en parle dans son Histoire du Christianisme des Indes. Suivant lui, le système serait une « pratique originaire d’Égypte[2] » ; car, ajoute-t-il, la ressemblance ne peut pas être plus parfaite qu’elle est ici entre les Égyptiens et les Indiens. » Cette prémisse qui est fausse, conduit cependant notre historien à une conclusion digne de considération, à savoir qu’« on peut croire que la politique ; introduisit au commencement cette coutume » dans l’Inde[3]. Pourquoi ? Parce qu’il semble qu’elle l’ait introduite en Égypte. L’auteur accentue d’ailleurs sa pensée en affirmant que la division des castes n’est pas absolument établie sur les principes de la religion indienne, et qu’il n’est pas défendu aux Indiens de le dire. En effet, et qui plus est, ils agissent en conséquence. Les plus graves affaires de castes, au lieu d’être jugées par un tribunal indigène institué suivant les rites religieux, sont jugées par des magistrats anglais ou français, c’est-à-dire par des gens qui, religieusement, sont considérés à l’égal de la plus vile canaille du pays[4].

La Croze constate aussi que jamais les castes « ne se confondent par

  1. Voyages de François Bernier, II, 134 sqq., Amsterdam, 1699. Lettre adressée à Chapelain, 10 juin 1668. Bernier nous apprend à l’occasion des « quatre beths » que ce fut le missionnaire allemand Roa, à Agra, qui s’appliqua le premier à l’étude du « hanscrit » qui veut dire « langue pure ».
  2. La Croze, Hist. du christianisme des Indes, I. VI, p 433 ; La Haye, 1724
  3. Ibid., p. 476.
  4. Perrin, Voy. dans l’Inde, p. 306, sq.