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les castes dans le sens théocratique. Je ne vois dans cette invocation aux Açvins, de vivifier le brahma et de faire prospérer le kshatra et les viças[1], que la preuve d’un classement social en prêtres, nobles et bourgeois, sous la protection des puissances célestes.

Après cela on peut demander s’il n’y a pas eu quelque motif spécial qui ait fait que le mot varna couverture et, par extension, couleur, soit devenu le terme le mieux approprié pour marquer l’étroit parquement social, que les Portugais avec leur sens positif ont nommé caste (câsta). Les grihyasûtras ou codes domestiques, dont le fond est assurément très ancien et repose sur la tradition (smriti), me suggèrent l’idée que cela a pu arriver par une certaine coutume.

Cette coutume, c’est que dans quelques occasions solennelles, au moment, par exemple, où l’on mettait les enfants à l’école (obligatoire mais non gratuite) les brâhmanes, les kshatriyas et les vaiçyas présents à la fête, devaient se revêtir, chacun suivant son rang social, d’un vêtement ayant une couleur spéciale, rouge sombre pour le brâhmane, rouge garance pour le kshatriya et jaune pour le vaiçya,[2] à moins qu’ils ne préférassent se couvrir, le premier d’une peau d’antilope, le second d’une peau de chevreuil, le troisième d’une peau de chèvre. La couleur du vêtement importe aussi quand le jeune homme sort de l’apprentissage littéraire par la cérémonie du bain, qui en fait un snâtaka.

Ainsi distinguées les unes des autres par la couleur de leurs vêtements, les différentes classes dont se composait la société ont trouvé une sorte de définition dans le signe qui les caractérisait aux yeux du public, et varna la couleur a pris l’acception de caste. L’histoire est d’ailleurs riche en ce genre de procédés métonymiques, et, sans sortir de la France, nous avons au milieu de nous, par la désignation des légitimistes, des cléricaux, des orléanistes et des républicains, en blancs, noirs, bleus et rouges, quatre varnânis politiques nettement tranchés… quand l’opportunisme ou le machiavélisme des partis ne les confond pas dans une couleur sans nom.

Cependant je donne pour ce qu’elle vaut l’hypothèse qui consiste à supposer par la raison de la coutume traditionnelle de la couleur des vêtements des différentes classes indiennes, que le terme de couleur (varna) a été transporté par métonymie au sens de caste (varna). Mais une chose me parait certaine, à savoir qu’il résulte des textes rapportés d’un nombre suffisamment varié de documents, que dans l’opinion des Indiens lettrés l’origine du régime des castes est d’ordre divin ou théologique, d’où il résulte que la théorie brâhmanique qui est la source de cette opinion, est purement spéculative et ne saurait par conséquent être admise comme l’expression d’un ordre de faits historiques. Il est

  1. Ib. VIII, 35, 16 sqq. (IV, 588) brahma jinvatam… kshatram jinvatam… jinvatan viço.
  2. V. le Grihyasûtra d’Açvalâyana, I, 19, 11 ; éd. Stenzler.