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y a de fondé ; le fait est que la classe des nobles, dont des guerriers illustres forment généralement la souche, se trouve établie sur une prétendue vertu du sang. Le souvenir des hauts faits de l’ancêtre qu’un sang chaud ou échauffé, aucuns disent généreux, ou même céleste[1], avait poussé en avant, s’est tacitement reporté sur les descendants du héros et les a consacrés eo ipso, nobles à perpétuité. Pour le prêtre, à qui manquait le prestige du sang, prestige plus puissant dans sa force toute matérielle que celui du génie et de la science, plus puissant même que celui des écus, le classement héréditaire n’a déjà plus offert la même facilité. Il fallait que l’habileté y aidât. On sut donc faire parler la divinité et comme elle, créature du prêtre, n’avait rien à refuser à celui dont elle dépendait, elle déclara, coram populo, que « le brâhmane, en venant au monde, est placé au premier rang sur cette terre, qu’il est le souverain seigneur de tous les êtres : brahmano jayamâno hi prithivyâm adhijâyate, îçvarah sarvabhûtânâm »[2].

Mais laissons les généralités qui ont pourtant aussi leur place légitime, dans un sujet comme celui-ci, et venons-en à des recherches toutes spéciales.

À une époque que la chronologie historique est hors d’état de déterminer au juste, mais qui, à en juger d’après le temps qu’exige l’action de certains facteurs de civilisation, comme par exemple celle des lettres, remonte pour sûr à vingt-cinq siècles au moins avant notre ère, des peuples aryas, suivant leur instinct nomade de pasteurs, à ce que laisse soupçonner une tradition indienne rapportée par Mégasthène[3], ou bien pour cause de brusque changement de climat, à ce que dit le Vendidâd[4], des peuples aryas, dis-je, descendirent du talus schisteux, granitique et calcaire qui forme, entre l’Himâlaya et le Thianshan, et, spécialement entre le Trans-Alaï, le Kisylyart, le Dardistan, le Badakshan et la Bukharie, ce haut plateau, en forme de losange, dont la triangulation n’a pas encore déterminé l’étendue, mais qu’on peut estimer deux fois plus grande que la Suisse. Il est connu sous le nom de Pamir, steppe sauvage, et aussi sous celui de Bam-i-dunea, Toit du monde. La plus ancienne description qui en existe, à ce que je sache, nous la devons au pèlerin chinois Hiouen Thsang. Il traversa la vallée de Po-mi-lo vers 640 de notre ère et la décrit comme une contrée absolument inhospitalière[5]. Je résiste à la tentation de l’imiter et de faire de cette saillie géologique, colossalement ondulée par des chaînes de montagnes allant d’est en ouest et s’élevant parfois à plus de 3 000 pieds, sur une base qui ne descend nulle part au-dessous de 13 000

  1. De là, le sang bleu ou azuré, sangre azul.
  2. Mânav., I, 99.
  3. Πάλαι μὲν δὴ νομάδας εἶναι Ἰνδοὺς κατάπερ Σχυθέων τοὺς οὐχ ἀροτῆρας, κτλ. (Megasthenis Fragmenta ap. Arrian. Ind. c. VII).
  4. Vendidâd. farg. I, 9 sqq. « Le froid envahit tout », même la saison d’été. Cf. Minokhired, XLIV, 19.
  5. V. Hiouen Thsang, Mémoires sur les contrées occid., II, 207 sqq.