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n’être plus qu’un titre honorifique, un son retentissant, fort recherché dans le midi de l’Inde, au Malabar, par exemple, et dans l’île de Bali[1]. L’attribution du titre de kshatriya donne même lieu, en certaines castes du Sud, à des jalousies qui dégénèrent en querelles[2]. Mais enfin le personnage même a disparu, ou peu s’en faut. Tant il est vrai partout qu’on ne brave pas impunément le pouvoir sacro-saint du prêtre !

Le brâhmane est la matrice du prince, c’est donc au brâhmane qu’il doit s’attacher, en lui seul il doit se réfugier[3]. S’il l’oublie, s’il pousse l’audace jusqu’à vouloir s’émanciper de la tutelle des bons pères, il est perdu et on verra descendre ses descendants jusqu’à ne plus constituer qu’une basse caste, comme par exemple celle des Vanniyas (hommes de feu) dans le Dekhan.

Mais parlons du vaiyça.

Les viças sont nommés aussi souvent dans les hymnes que les râjanyas sous le nom de kshatriyas le sont rarement. Et non seulement ils y figurent à tous moments, mais encore ils s’y présentent toujours sous un aspect digne et honorable. Ce sont des hommes libres, et en eux réside la force (balam) de l’État. Être qualifiés de viças, convient même aux dieux. « Tu invites les viças, ô Agni », dit un hymne[4], et ces viças sont les êtres divins. Il est vrai qu’on se sert aussi de ce mot pour désigner les dâsas, mais dans ce cas on veut dire les çûdras, race moyenne après tout, et nous avons déjà eu occasion de le constater. Le code de Manu met d’ailleurs libéralement au rang de çûdras des Dâsas qui sont réellement des anaryas, tels que les Drâvidiens, les Arachosiens, les Grecs, les Saces, les Perses et même les Chinois[5]. Remarquons, en outre, que le Rik ne dit pas encore que les çûdras furent créés pour servir les classes supérieures ; il fait ressortir seulement leur infériorité par rapport aux pasteurs védiques. Plus tard, quand le régime des castes aura prévalu dans toute sa rigidité théocratique, on fera dire à un véda que « les mains humides, ardrahastâ, des dâsas (c’est-à-dire des çûdras) souillent le mortier et le pilon[6] (dans l’acte liturgique du sacrifice), que déjà leur haleine souille et qu’ils ne sont pas même reçus à adresser la parole au dvija au moment où il se dispose à sacrifier, au dikshita[7].

Malgré ce langage excessif, on n’a jamais méconnu, je le répète,

  1. Fr. Buchanan, A Journey from Madras, etc., II, 349, 424 ; Friederich dans Verhandlingen van het Bataviansch Genootschap, XXIII, 15, 24.
  2. Vinson, Ethnographie drâvidienne, dans Rev. Or. 1868, p. 116.
  3. V. Bribadâranyaka up., I, 4, 11 ; éd Röer I, p. 235 : Kshatrasya yonir yad brahmabrahmaivântata upaçriyati.
  4. R. V., I, 31, 5 (I, 298).
  5. Mânav., X, 44.
  6. Yadvâ dâsyâ 3 rdrahastà samanta ulùkhlam musalan çumbhatàpah. (Atharva-Veda, XII, 3, 13 ; p. 277).
  7. Çalapath. brâh., III, 1, 10 ; p. 224.