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été un mal ; au contraire. Mais le malheur de l’Inde voulut que les brahmanes ne sussent pas résister aux inspirations d’une ambition effrénée et du plus fol orgueil, et qu’à l’imitation des prêtres védiques, qui s’intitulaient modestement les pères des dieux[1], et ne cachaient pas que par leurs prières ils faisaient tourner le grand Indra ainsi qu’une roue[2], ils se donnassent de par la loi la qualité divine : instruit ou ignorant, dit le code de Manou, un brahmane est une divinité puissante[3]. Ils surent si bien inculquer cette croyance dans l’esprit de plus en plus affaibli des Hindous, que bientôt toute l’Inde répéta sans sourciller : « L’univers est au pouvoir des dieux ; les dieux sont au pouvoir des mantras[4] ; les mantras sont au pouvoir des brahmanes : donc les brahmanes sont nos dieux. »[5]. Conclusion triomphante, et qui montre bien quel trésor de stupidité peut contenir l’âme d’un peuple.

Ainsi, tandis que d’une part le naturalisme védique constitua logiquement et sans effort les peuples de l’Inde en corps de nation, de l’autre, les brahmanes, exagérant ce mouvement salutaire, emprisonnèrent les esprits dans leurs formules dogmatiques, et lorsqu’ils furent parvenus à en extirper, jusque dans son germe, toute cette vie si largement poétique et si intéressante des pasteurs védiques, la société hindoue, enchaînée dans l’immobilité, vint à ressembler, non à une pyramide, l’image serait trop gracieuse, mais à une de ces pagodes lourdes et massives qui se composent d’un grand nombre de cubes superposés et couverts d’ornements monstrueux.

Elle n’est donc point digne d’admiration, cette longévité de la société hindoue qui brave les siècles : le temps ne peut rien sur un bloc de granit. Mais ce n’est pas une raison pour la miner autrement que par des moyens que peut avouer la conscience chrétienne, et ceux qu’emploient les Anglais ne sont pas de cette espèce.

Nous avons vu que l’obtention des biens matériels était le but exclusif du culte védique. La pureté, en tant qu’elle est utile aux bonnes mœurs et à la santé, faisait nécessairement partie de ces biens, et

  1. Rig-Véda, v, i, xiv, 9, 10.
  2. Rig-Véda, vi, vi, xvi, 12.
  3. Lois de Manou, ix, 317.
  4. On appelle mantras les prières védiques.
  5. Dubois, ouvr. cit., i, 180.