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tempête, le pilote est vieux et sans force : prends sa place à la barre.

Jean. — À quoi bon ? Voici vingt-cinq ans que maman et toi, vous vous échinez à maintenir un commerce jadis prospère, maintenant chancelant. Voici vingt-cinq ans que vous luttez comme des nègres, que vous vous débattez contre la fatalité. À quoi en êtes-vous ? Et si, après toi, papa, je me mettais dans l’idée de sauver cette maison en perdition, peut-être bien que, moi aussi, dans vingt-cinq ans, je me verrais forcé d’aller trouver mon fils pour lui dire : J’ai beaucoup trimé et je n’ai rien pu économiser que je te laisserai.

Monsieur. — C’est un reproche que tu me fais ?

Jean. — Oh non ! tu es trop bon et trop foncièrement honnête pour que je puisse encore te reprocher quelque chose, sinon de vouloir que je m’attelle à ce rocher de Sisyphe. Laisse-moi donc peindre puisque telle est ma vocation. Le pinceau peut nourrir son homme et je n’oublierai pas le matériel, car je suis fils de commerçant. Prête-moi vingt-cinq années, ces années que tu as eues, pour me faire une vie, et si je n’arrive pas à faire ma trouée, eh bien, qu’y aura-t-il de perdu ? Je serai alors au même point où nous en sommes aujourd’hui.