Aller au contenu

Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

derniers éléments, et recomposée. C’est en cela que consiste le grand profit que l’étude des langues anciennes apporte à l’esprit. Lorsqu’on a exactement saisi toutes les idées que la langue à apprendre désigne par les mots, et qu’à chaque mot de celle-ci on pense directement l’idée exacte qui lui répond, mais sans traduire d’abord le mot dans un mot de sa langue maternelle, et en pensant ensuite l’idée désignée par ce mot, idée qui n’y répond pas toujours exactement, — et de même pour des phrases entières, — alors seulement on a saisi l’esprit de la langue à apprendre, et fait ainsi un grand pas dans la connaissance de la nation qui la parle. Car ce que le style est à l’esprit de l’individu, la langue l’est à celui de la nation[1]. On ne s’assimile toutefois complètement une langue que lorsqu’on est en état d’y traduire, non des livres peut-être, mais soi-même : de sorte que, sans subir une diminution de son individualité, on puisse s’y exprimer directement, en se faisant ainsi goûter non moins des étrangers que de ses compatriotes.

Les gens médiocrement doués ne s’approprient pas très facilement une langue étrangère. Ils peuvent en apprendre les mots, mais ils ne les emploient que dans le sens de leur équivalent approximatif en leur langue maternelle, et continuent à conserver les tournures et les phrases particulières à celle-ci. Ils ne parviennent pas à s’approprier l’esprit de la langue étrangère, ce qui provient de ce que leur penser lui-même ne fonctionne pas par ses propres forces, mais est em-

  1. Posséder à fond plusieurs langues modernes et les lire facilement, c’est là un moyen de s’élever au-dessus de l’étroitesse de nationalité qui nous enserre tous.