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Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/108

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prunté pour la plus grande partie à leur langue maternelle, dont les phrases et les tournures usitées représentent pour eux leurs propres pensées. Voilà pourquoi, dans leur propre langue aussi, ils ne se servent jamais que de phrases usées (hackney’d phrases, phrases banales), qu’ils assemblent même si maladroitement, que l’on remarque combien ils sont peu conscients de leur sens et combien peu leur penser entier s’élève au-dessus des mots ; ce n’est guère, en réalité, qu’un babil de perroquet. Au point de vue opposé, l’originalité des tournures et la propriété individuelle de chaque expression qu’on emploie, sont le symptôme infaillible d’un esprit supérieur.

Il ressort donc de tout ceci que, dans l’étude de chaque langue étrangère, se forment de nouvelles idées, en vue de donner une signification à de nouveaux signes ; que des idées qui, d’une façon indécise, en formaient une plus large, c’est-à-dire moins déterminée, se séparent, parce qu’il n’y avait qu’un seul mot pour les rendre ; que l’on découvre des rapports inconnus jusque-là, parce que la langue étrangère indique l’idée par un trope ou une métaphore qui lui sont propres ; qu’en conséquence, un nombre infini de nuances, de similitudes, de dissemblances, de rapports des choses, entrent dans la conscience, grâce à la nouvelle langue apprise ; qu’ainsi donc on obtient une perception beaucoup plus variée de toutes choses. Il s’ensuit que dans chaque langue on pense autrement, ce qui donne à notre penser, par l’étude de chacune, une nouvelle modification et une nouvelle teinte ; que, par suite, le polyglottisme, outre ses nombreuses utilités immédiates, est aussi un moyen direct de formation de l’esprit,