Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/143

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C’est ainsi que Gœthe fut aussi un dilettante en ce qui concerne la théorie des couleurs. Un petit mot ici à ce sujet.

La sottise et la méchanceté sont permises : ineptire est juris gentium. Mais parler de sottise et de méchanceté est un crime, une atteinte révoltante aux bonnes mœurs et à toutes les convenances. Sage mesure ! Cependant je dois la négliger cette fois-ci, pour parler en allemand aux Allemands, c’est-à-dire nettement. J’ai en effet à dire que le sort de la théorie des couleurs de Gœthe est une preuve criante ou de la déloyauté, ou du manque complet de discernement du monde savant allemand. Ces deux nobles qualités se sont sans doute prêté ici la main. Le grand public cultivé cherche à bien vivre et à se distraire, et rejette en conséquence tout ce qui n’est pas roman, comédie ou poésie. Pour lire une fois en vue de s’instruire, par exception, il attend en premier lieu une lettre signée et scellée de ceux qui ont le plus autorité pour décider si la chose est vraiment instructive. Et ceux qui ont le plus d’autorité, pense-t-il, ce sont les gens du métier. Il confond ceux qui vivent d’une chose avec ceux qui vivent pour une chose, — quoiqu’elles soient rarement les mêmes. Diderot a déjà dit, dans le Neveu de Rameau, que ceux qui enseignent une science ne sont pas ceux qui la comprennent et la pratiquent sérieusement, vu qu’il ne reste pas à ceux-ci de temps pour l’enseigner. Les autres vivent seulement de la science ; elle est pour eux une bonne vache qui leur donne du lait[1]. Quand le plus

  1. Schopenhauer aura lu cela ailleurs ; en tout cas, le Neveu de Rameau ne renferme aucun passage qui rappelle celui-ci. (Le trad.)