Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/185

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Conformément à cela, l’histoire littéraire montre universellement que ceux qui se sont proposé pour but l’examen et la connaissance des choses, sont restés méconnus et délaissés ; tandis que ceux qui se sont contentés de faire parade du seul semblant de celles-ci, ont obtenu l’admiration de leurs contemporains, avec les émoluments en plus.

Car, avant tout, l’action d’un écrivain est subordonnée à cette condition, qu’il obtienne de la réputation, qu’on soit obligé de le lire. Or, cette réputation, cent indignes l’obtiennent rapidement par l’habileté, le hasard et les affinités électives, tandis qu’un écrivain méritant n’y arrive que lentement et tard[1]. Ceux-là ont des amis ; la clique existe toujours en nombre et serre étroitement ses rangs. Celui-ci, au contraire, n’a que des ennemis ; la supériorité intellectuelle, partout et en toute circonstance, est-ce qu’il y a de plus haï au monde ; et surtout par les bousilleurs cultivant la même branche, qui voudraient être eux-mêmes quelque chose. — Si les professeurs de philosophie s’imaginaient que je fais allusion ici à eux et à leur tactique poursuivie pendant plus de trente ans contre mes œuvres, ils auraient rencontré juste.

Du moment où il en est ainsi, il faut, pour produire quelque chose de grand, quelque chose qui survive à sa génération et à son siècle, une condition fondamentale : c’est qu’on ne tienne aucun compte de ses contemporains, de leurs opinions et de leurs vues, comme

  1. En règle générale, la quantité et la qualité du public d’une œuvre sont en rapport inverse. C’est ainsi, par exemple, que les nombreuses éditions d’une œuvre poétique ne permettent aucunement de conclure à la valeur de celle-ci.