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Les lettrés sont ceux qui ont lu dans les livres ; mais les penseurs, les génies, les flambeaux de l’humanité et les pionniers de la race humaine sont ceux qui ont lu directement dans le livre de l’univers.

En réalité, les pensées fondamentales personnelles ont seules vérité et vie ; car ce sont les seules que l’on comprend bien et complètement. Les pensées lues chez d’autres sont les reliefs d’un repas étranger, les vêtements délaissés par un hôte venu du dehors.

La pensée lue chez un autre est à la pensée qui naît spontanément chez nous, ce qu’une plante préhistorique imprimée dans la pierre est à la plante florissante du printemps.

La lecture n’est qu’un succédané de la pensée personnelle. On laisse, avec elle, mener ses idées à la lisière par un autre. Beaucoup de livres servent simplement à montrer combien il y a de faux sentiers et comme on peut sérieusement s’égarer, si on les suit. Mais celui que le génie dirige, c’est-à-dire qui pense par lui-même, volontairement, exactement, celui-là possède la boussole qui lui fera trouver le vrai chemin. Il ne faut donc lire que quand la source de la pensée personnelle tarit, ce qui arrive souvent même aux meilleures têtes. Mais chasser ses pensées originales pour prendre un livre en main, c’est un péché contre le Saint-Esprit. On ressemble alors à un homme qui fuirait la vraie nature pour regarder un herbier ou examiner de belles régions en gravures.

Si parfois on a découvert, à force de travail, de lente méditation et de réflexion, une vérité ou une idée