Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’on aurait pu commodément trouver toute prête dans un livre, elle a ainsi obtenu par la pensée personnelle cent fois plus de valeur. Seulement alors, en effet, elle pénètre comme partie intégrante, comme membre vivant, dans tout notre système pensant, se tient en complet et solide rapport avec lui, est comprise avec toutes ses raisons et conséquences, porte la couleur, la nuance, l’empreinte de toute notre manière de penser ; et comme elle est venue au temps précis où son besoin se faisait sentir, elle reste solidement fixée et ne peut plus disparaître. Aussi ces vers de Goethe :

Ce que tu as hérité de tes pères,
Acquiers-le, pour le posséder[1],

Faust, 1re  partie.

trouvent ils ici leur plus parfaite application, même leur interprétation. Le penseur personnel n’apprend que plus tard à connaître les autorités de ses opinions, quand elles ne lui servent plus qu’à confirmer celles-ci et à fortifier sa foi en elles. Le philosophe qui puise ses idées dans les livres, au contraire, part des autorités ; avec les opinions d’autrui, qu’il a recueillies, il se construit un ensemble qui ressemble ensuite à un automate composé de matériaux étrangers ; tandis que l’ensemble du premier ressemble à un homme engendré naturellement et vivant. Comme celui-ci, il a pris naissance ; le monde extérieur a fécondé l’esprit pensant qui, ensuite, a porté jusqu’à terme cet ensemble.

La vérité simplement apprise n’adhère à nous que comme un membre artificiel, une fausse dent, un nez

  1. « Was du ererbt von deinen Vätern hast,
    Erwirb es, um es zu besitzen. »