Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/70

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ment ; mais c’est là un éloge qu’on ne peut nullement adresser à un Allemand. Par suite du fait indiqué, les mots « causer » et « occasionner » ont presque entièrement disparu du langage des livres des dix dernières années, et on n’emploie plus que « conditionner ». Le ridicule caractéristique de la chose la rend digne de mention.

On pourrait même attribuer le manque d’esprit des livres ordinaires et l’ennui qu’ils dégagent, à ce que leurs auteurs ne parlent jamais qu’à demi consciemment, et qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes le sens de leurs mots, vu que ceux-ci sont chez eux quelque chose d’appris et de reçu tout fait. En conséquence, ils ont plus assemblé les phrases (phrases banales) que les mots. De là le manque sensible d’idées nettement exprimées qui les caractérise ; c’est que précisément le coin auquel sont frappées celles-ci, le penser personnel clair, leur fait défaut. En place d’elles nous trouvons un obscur et vague tissu de mots, des phrases courantes, des tournures usées et des expressions à la mode. Il en résulte que le griffonnage nébuleux de ces écrivains ressemble à une impression faite avec des caractères déjà fatigués.

Les gens d’esprit, au contraire, nous parlent réellement dans leurs écrits, et ainsi ils savent nous émouvoir et nous intéresser ; eux seuls placent les mots d’une façon pleinement consciente, avec choix et réflexion. Aussi leur style est-il à celui des autres ce qu’est un tableau réellement peint à un tableau fait d’après un patron. Là, dans chaque mot comme dans chaque coup de pinceau, il y a une intention spéciale ; ici, au contraire, tout est fait mécaniquement.