Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/77

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s’applique à tous les beaux-arts. Le manque d’esprit revêt toutes les formes, pour se cacher derrière elles. Il s’enveloppe dans l’emphase, la boursouflure, dans un air de supériorité et de grandeur, et dans cent autres formes. Ce n’est qu’à la naïveté qu’il ne s’en prend pas ; car ici il se compromettrait aussitôt et n’étalerait que niaiserie. Même un bon cerveau n’a pas le droit d’être naïf, car il paraîtrait sec et maigre. Ainsi la naïveté reste la parure du génie, comme la nudité celle de la beauté.

La vraie brièveté de l’expression consiste à dire seulement ce qui doit être dit, et à éviter toute explication prolixe de ce que chacun peut penser lui-même, en distinguant exactement le nécessaire du superflu. D’autre part, il ne faut jamais sacrifier la clarté, à plus forte raison la grammaire, à la brièveté. Affaiblir l’expression d’une pensée, ou bien obscurcir ou rabougrir le sens d’une période, pour économiser quelques mots, c’est un manque déplorable de jugement. C’est précisément cette fausse brièveté qui est aujourd’hui à la mode, et qui consiste à omettre ce qui est utile, même ce qui est nécessaire au point de vue grammatical, ou au point de vue logique.

En Allemagne, les mauvais écrivains d’aujourd’hui sont possédés de cette recherche de la brièveté comme d’une manie ; ils la pratiquent avec une absurdité incroyable. Non seulement, pour économiser un mot, ils font servir un verbe ou un adjectif à plusieurs périodes différentes à la fois, et même en différents sens, qu’on doit lire sans les comprendre et comme en tâtonnant dans l’obscurité, jusqu’à ce qu’enfin le mot final arrive et nous apporte de la lumière ; mais, par suite de