Page:Schopenhauer - Écrivains et Style, 1905, trad. Dietrich.djvu/76

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l’essentiel seul ! rien de ce que le lecteur peut penser par lui-même. Recourir à beaucoup de mots pour exprimer peu d’idées, c’est toujours la marque infaillible de la médiocrité. Celle du cerveau éminent, au contraire, est d’enfermer beaucoup d’idées en peu de mots.

La vérité nue est la plus belle, et l’impression qu’elle produit est d’autant plus profonde, que son expression est plus simple. Cela provient, en partie, de ce qu’elle s’empare sans obstacle de l’âme entière de l’auditeur, que ne distrait aucune idée accessoire ; en partie, de ce qu’il sent qu’il n’est pas réduit ou déçu ici par des artifices de rhétorique, mais que tout l’effet sort de la chose même. Par exemple, quelle déclamation sur la vanité de la vie humaine pourrait être plus impressionnante que celle de Job ? « Homo, natus de muliere, brevi vivit tempore, replelus multis miseriis, qui, tanquam flos, egreditur et conteritur, et fugit velut umbra[1]. » C’est pour cette raison que la poésie naïve de Gœthe est si incomparablement supérieure à la poésie rhétoricienne de Schiller. De là aussi la forte impression de maintes chansons populaires. Ainsi, de même qu’en architecture il faut se garder de l’excès d’enjolivements, il convient, dans les arts parlés, de se tenir en garde contre tout ornement de rhétorique non nécessaire, contre toute amplification inutile, et, en général, contre tout excès dans l’expression ; en un mot, de s’appliquer à un style chaste. Tout ce qui est superflu produit un effet nuisible. La loi de la simplicité et de la naïveté, compatible aussi avec le plus haut sublime,

  1. « L’homme, né de femme, vit une vie courte et pleine de misères. Il sort comme une fleur, puis il est coupé ; il s’enfuit comme une ombre. »