Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/166

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Le cours et les événements de notre vie individuelle peuvent être comparés, quant à leur sens et à leur connexion véritables, à une mosaïque grossière. Tant qu’on la regarde de tout près, on ne reconnaît pas très bien les objets représentés et l’on ne se rend compte ni de leur importance ni de leur beauté ; ce n’est qu’à quelque distance que l’une et l’autre apparaissent. De même, nous ne comprenons souvent la véritable connexion des événements importants de notre propre vie ni pendant qu’ils se déroulent, ni un peu plus tard, mais seulement assez longtemps après.

En est-il ainsi parce que nous avons besoin des verres grossissants de l’imagination ? ou parce que l’ensemble ne se laisse saisir que de loin ? ou parce que les passions doivent être refroidies ? ou parce que l’école de l’expérience mûrit seule notre jugement ? — Peut-être pour toutes ces raisons à la fois. Ce qui est certain, c’est que la véritable lumière ne se fait souvent dans notre esprit sur les actions des autres, parfois même sur les nôtres, qu’après de nombreuses années. Et ce qui se passe en notre vie se passe aussi dans l’histoire.

Il en est de l’état du bonheur humain comme le plus souvent de certains groupes d’arbres. Vus de loin, ils paraissent admirables ; les examine-t-on de tout près, cette beauté disparaît. On ne sait pas ce qu’elle est devenue, et l’on se trouve entre des arbres. Voilà d’où vient que nous envions si souvent la situation d’autrui.

Pourquoi, en dépit de tous les miroirs, ne connaissons-nous pas exactement notre figure, et ne pouvons--