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Pourquoi tout ce qui est commun est-il méprisable ?

« Commun » signifie originellement ce qui est propre et commun à toute l’espèce, c’est-à-dire ce qui est inné en elle. Voilà pourquoi celui qui n’a pas d’autres qualités que celles de l’espèce humaine, est un « homme commun ». « Homme ordinaire » est une expression beaucoup plus douce et qui concerne davantage l’intellectualité, tandis qu’« homme commun » concerne plutôt le moral.

Quelle valeur peut bien avoir un être qui n’est rien de plus que des millions de son espèce ? Des millions ? Bien plutôt une infinité, un nombre incommensurable d’êtres que la nature fait jaillir éternellement, in sœcula sœculorum, de sa source intarissable, avec la prodigalité du forgeron dont le marteau fait voler de toutes parts des étincelles.

Il devient même évident qu’un être qui n’a pas d’autres qualités que celles de l’espèce, n’a pas non plus de droits à une autre existence qu’à celle de l’espèce et qui est conditionnée par elle.

J’ai expliqué plus d’une fois que, tandis que les animaux ont seulement le caractère générique, l’homme, lui seul, a le caractère individuel proprement dit. Néanmoins, chez le plus grand nombre, il n’y a en réalité qu’une petite part d’individualité ; ils se laissent presque tous classifier. Ce sont des espèces[1]. Leur volonté et leur penser, comme leurs physionomies, sont ceux de l’espèce entière, en tout cas de la classe d’hommes à laquelle ils appartiennent, et voilà pourquoi tout cela est trivial, banal, commun, tiré à des milliers d’exem-

  1. En français dans le texte.