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ivresse renforce souvent beaucoup le souvenir des temps et des événements passés, de manière qu’on se rappelle toutes leurs circonstances plus complètement qu’on n’aurait pu le faire à l’état de sobriété. Par contre, le souvenir de ce que l’on a dit ou fait pendant l’ivresse même est plus incomplet qu’en temps ordinaire ; après une forte ivresse, il n’existe même plus. L’ivresse renforce donc le souvenir, mais ne lui apporte qu’un faible aliment.

Ce qui prouve que l’arithmétique est la plus basse de toutes les activités intellectuelles, c’est qu’elle est la seule qui puisse être exercée aussi à l’aide d’une machine. On se sert déjà beaucoup, en Angleterre, par commodité, de machines à calculer. Or, toute analysis finitorum et infinitorum se ramène finalement au calcul. On peut mesurer d’après cela le « profond sens mathématique », qu’a déjà raillé Lichtenberg[1]. Il a dit en effet à ce sujet : « Les mathématiciens de profession, appuyés sur la naïveté enfantine des autres hommes, se sont acquis une réputation de profondeur qui a beaucoup de ressemblance avec celle de sainteté que s’arrogent les théologiens ».

En règle générale, les gens d’un très grand talent s’entendront mieux avec les hommes d’une intelligence extrêmement limitée, qu’avec ceux d’une intelligence ordinaire. C’est pour la même raison que le despote et

  1. Spirituel écrivain et penseur allemand (1742-1799) que Schopenhauer aime à citer, et dont nous avons dit un mot dans la Préface d’Écrivains et style, page 16. (Le trad.)