Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/46

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gonisme de la haine, de la colère ou de la peur. La laideur de notre nature ferait en effet peut-être un jour de chacun de nous un meurtrier, s’il ne s’y mêlait pas une forte dose de peur, qui la maintient dans les bornes ; et cette peur seule, à son tour, nous rendrait l’objet de la moquerie et le jouet de chaque enfant, si notre colère n’était pas là toute prête à surgir et à faire bonne garde.

Mais le plus déplorable trait de la nature humaine reste le plaisir de nuire, étroitement apparenté à la cruauté, et qui ne se distingue en réalité de celle-ci que comme la théorie de la pratique. Il apparaît généralement là où la sympathie devrait trouver sa place, la sympathie qui, son opposée, est la véritable source de toute vraie justice et de l’amour du prochain. Dans un autre sens, l’envie est opposée à la sympathie, en ce qu’elle est provoquée par l’occasion inverse. Son opposition à la sympathie repose donc directement sur l’occasion, et se manifeste aussi dans le sentiment comme une conséquence de celle-ci. L’envie, quoique condamnable, est donc susceptible d’excuse, et est éminemment humaine ; tandis que le plaisir de nuire est diabolique, et que sa moquerie est le rire de l’enfer. Il apparaît, nous l’avons dit, justement là où la sympathie devrait apparaître ; tandis que l’envie n’apparaît que là où il n’y a pas de motif pour celle-ci, et où ce serait plutôt le contraire. C’est à ce dernier titre qu’elle naît dans le cœur humain, et constitue donc encore un sentiment humain ; je crains même que personne n’en soit complètement exempt. Que l’homme, en effet, devant la fortune et les joies des autres, sente d’autant plus amèrement ses propres besoins, cela est naturel, et