Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/85

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Il y a entre les opérations de la nature créatrice et celles de l’homme une analogie particulière, mais non fortuite, qui est basée sur l’identité de la volonté dans l’une et dans l’autre. Après que les herbivores eurent pris place dans le monde animal, les carnassiers apparurent, nécessairement les derniers, dans chaque classe d’animaux, pour vivre de ceux-ci, comme de leur proie. Juste de la même façon, après que des hommes ont arraché au sol, loyalement et à la sueur de leur front, ce qui est nécessaire pour alimenter leur société, on voit arriver souvent une troupe d’individus qui, au lieu de cultiver le sol et de vivre de son produit, préfèrent exposer leur vie, leur santé et leur liberté, pour assaillir ceux qui possèdent leur bien honnêtement acquis, et s’approprier les fruits de leur travail. Ces carnassiers de la race humaine sont les peuples conquérants, que nous voyons surgir en tous lieux, depuis les temps les plus reculés jusqu’aux plus récents. Leurs fortunes diverses, avec leurs alternatives de succès et d’échecs, constituent la matière générale de l’histoire universelle. Aussi Voltaire a-t-il dit avec raison : « Dans toutes les guerres, il ne s’agit que de voler »[1]. Que les gouvernements qui font ces guerres en aient honte, ils le prouvent en protestant chaque fois qu’ils ne prennent les armes que pour se défendre. Mais au lieu de chercher à excuser cet acte par des mensonges publics officiels, presque plus révoltants que l’acte lui-même, ils devraient s’appuyer carrément sur la doctrine de Machiavel. Celle-ci admet entre individus, au point de vue de la morale et du droit, la valeur du principe : quod tibi

  1. En français dans le texte.