Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/86

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fleri non vis, id alteri ne feceris ; tandis qu’entre peuples et en politique, c’est le contraire : Quod tibi fleri non vis, id alteri tu feceris. Veux-tu ne pas être assujetti : assujettis à temps ton voisin, c’est-à-dire dès que sa faiblesse t’en offre l’occasion. Si tu laisses celle-ci s’envoler, elle passera un jour dans le camp ennemi, et c’est ton adversaire qui t’assujettira ; il se peut même que ce ne soit pas la génération coupable de la faute, mais la suivante, qui en fasse expiation. Ce principe de Machiavel est en tout cas un voile beaucoup plus décent à l’usage de la rapacité, que le haillon transparent des mensonges les plus palpables dans les discours des chefs d’État, discours dont quelques-uns rappellent l’histoire bien connue du lapin accusé d’avoir attaqué le chien. Chaque État regarde au fond l’autre comme une horde de brigands qui tomberont sur lui, dès que l’occasion s’en offrira.

Entre le servage, comme en Russie, et la propriété foncière, comme en Angleterre, et, d’une façon générale, entre le serf, le fermier, le tenancier, le débiteur hypothécaire, la différence est plutôt dans la forme que dans le fond. Si c’est le paysan qui m’appartient, ou la terre qui doit le nourrir ; si c’est l’oiseau, ou sa pâture ; si c’est le fruit, ou l’arbre, — cela, en réalité, ne diffère pas beaucoup. Comme le dit Shylock :

________________… You take my life,
When you do take the means, whereby I live[1].

Le paysan libre a cet avantage, qu’il peut quitter sa

  1. « Vous m’enlevez la vie, si vous m’enlevez les moyens par lesquels je vis ».