Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/88

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nécessaires pour tirer sa nourriture du sol, en faisant d’elles un usage modéré ; il n’en a guère de superflues. En conséquence, si un nombre assez considérable d’hommes sont déchargés du commun fardeau de subvenir à l’existence de la race humaine, le fardeau des autres est démesurément accru, et ils sont malheureux. C’est la première source du mal qui, sous le nom d’esclavage ou sous celui de prolétariat, a toujours accablé la grande majorité de la race humaine.

La seconde source, c’est le luxe. Pour qu’un petit nombre de personnes puissent avoir l’inutile, le superflu, le raffiné, puissent satisfaire des besoins artificiels, une grosse part des forces humaines existantes doit être employée à cet objet, et dérobée à la production de ce qui est nécessaire, indispensable. Au lieu de bâtir des cabanes pour eux, des milliers de gens bâtissent des demeures magnifiques pour un petit nombre ; au lieu de tisser des étoffes grossières pour eux et pour les leurs, ils tissent des étoffes fines, ou de soie, ou des dentelles, pour les riches, et confectionnent mille objets de luxe pour le plaisir de ceux-ci. Une grande partie de la population des villes se compose d’ouvriers de cette catégorie. Pour eux et leurs employeurs le paysan doit conduire la charrue, semer et faire paître les troupeaux, et il a ainsi plus de travail que la nature ne lui en avait primitivement imposé. En outre, il doit consacrer encore beaucoup de forces et de terrain à la culture du vin, de la soie, du tabac, du houblon, des asperges, etc., au lieu d’employer celles-là et celui-ci pour les céréales, les pommes de terre, l’élevage des bestiaux. De plus, une multitude d’hommes sont enlevés à l’agriculture et occupés à la construction des