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roi d’Angleterre emprunta un jour une paire de bas de soie à l’un de ses lords, pour donner audience à l’ambassadeur de France. La reine Elizabeth elle-même fut très heureuse et très étonnée de recevoir, en 1560, sa première paire de bas de soie comme présent de nouvelle année[1]. Aujourd’hui chaque commis de magasin en porte. Il y a cinquante ans, les dames s’habillaient de robes de coton qui sont portées aujourd’hui par les servantes. Si le machinisme continue dans la même mesure ses progrès quelque temps encore, il en arrivera peut-être à supprimer presque complètement l’usage de la force humaine, comme il a déjà supprimé en partie l’usage de la force chevaline. On pourrait alors concevoir une certaine culture intellectuelle générale de l’humanité, qui est impossible tant qu’une grande partie de celle-ci doit rester soumise à un pénible travail corporel. Irritabilité musculaire et sensibilité nerveuse sont toujours et partout, en général comme en particulier, en antagonisme : la raison en est que c’est une unique et même force vitale qui réside au fond de l’une et de l’autre. Puisque, en outre, artes molliunt mores[2], il est possible que les querelles grandes et petites, les guerres ou les duels, disparaissent de la terre. Celles-la et ceux-ci sont déjà devenus beaucoup plus rares. Mais je ne me propose pas ici d’écrire une Utopie.

En dehors toutefois de ces raisons, les arguments allégués plus haut en faveur de l’abolition du luxe et de la répartition uniforme du travail corporel, sont

  1. Voir D’Israeli. Curiosities of Literature, au chapitre : Anecdotes of Fashion.
  2. « Les arts amollissent les mœurs ».