Page:Schopenhauer - Éthique, Droit et Politique, 1909, trad. Dietrich.djvu/99

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nature. C’est seulement, en effet, sur un fondement solide de cette espèce, que le droit peut prévaloir et imposer logiquement ses prescriptions. Ce fondement serait donc en quelque sorte le δός μοι πού στώ[1] du droit.

Le système végétal artificiel et arbitraire de Linné ne peut être remplacé par un système naturel, si raisonnable que serait celui-ci, et si fréquemment qu’on l’ait tenté ; c’est qu’en effet le système naturel n’offrirait jamais la certitude et la stabilité de définitions qu’offre le système artificiel et arbitraire. De la même façon, la base artificielle et arbitraire de la constitution de l’État, telle qu’elle est indiquée plus haut, ne peut être remplacée par une base purement naturelle. Celle-ci, faisant abstraction des conditions mentionnées, substituerait aux privilèges de la naissance ceux du mérite personnel, à la religion nationale les résultats de la recherche rationaliste, et ainsi de suite. Or, si conformes à la raison que pourraient être toutes ces choses, il leur manque cette certitude et cette fixité de définitions qui seules assurent la stabilité de la chose publique. Une constitution qui incarnerait seulement le droit abstrait, serait excellente pour d’autres êtres que les hommes. Mais puisque la grande majorité de ceux-ci est profondément égoïste, injuste, inconsidérée, menteuse, parfois même méchante et douée de peu d’intelligence, il s’ensuit la nécessité d’un pouvoir concentré en un seul homme, au-dessus même de la loi et du droit, absolument irresponsable, devant lequel tout se courbe, et dont le détenteur soit considéré comme un être d’essence supérieure, comme un maître par la

  1. « Donne-moi un levier ».