Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/109

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si même nos qualités et nos actions forçaient tout le monde à nous estimer hautement (car cela ne dépend pas de son libre arbitre), il suffira d’un seul individu — fût-ce le plus méchant ou le plus bête — qui énonce son dédain à notre égard, et voilà du coup notre honneur endommagé, perdu même à jamais, si nous ne le réparons. Un fait qui démontre surabondamment qu’il ne s’agit nullement de l’opinion elle-même, mais uniquement de sa manifestation extérieure, c’est que les paroles offensantes peuvent être retirées, qu’au besoin on peut en demander le pardon, et alors elles sont comme si elles n’avaient jamais été prononcées ; la question de savoir si l’opinion qui les avait provoquées a changé en même temps et pourquoi elle se serait modifiée ne fait rien à l’affaire ; on n’annule que la manifestation, et alors tout est en règle. Le résultat que l’on a en vue n’est donc pas de mériter le respect, mais de l’extorquer.

2° L’honneur d’un homme ne dépend pas de ce qu’il fait, mais de ce qu’on lui fait, de ce qui lui arrive. Nous avons étudié plus haut l’honneur qui règne partout ; ses principes nous ont démontré qu’il dépend exclusivement de ce qu’un homme dit ou fait lui-même ; en revanche, l’honneur chevaleresque résulte de ce qu’un autre dit ou fait. Il est donc placé dans la main, ou simplement suspendu au bout de la langue du premier venu : pour peu que celui-ci y porte la main, l’honneur est, à tout instant, en danger de se perdre pour toujours, à moins que l’offensé ne le reprenne par la violence. Nous parlerons tout à l’heure des formalités à accomplir pour le remettre en place. Toutefois