Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/110

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette procédure ne peut être suivie qu’au péril de la vie, de la liberté, de la fortune et du repos de l’âme. La conduite d’un homme fût-elle la plus honorable et la plus noble, son âme la plus pure et sa tête la plus éminente, tout cela n’empêchera pas que son honneur ne puisse être perdu, sitôt qu’il plaira à un individu quelconque de l’injurier ; et, sous la seule réserve de n’avoir pas encore violé les préceptes de l’honneur en question, cet individu pourra être le plus vil coquin, la brute la plus stupide, un fainéant, un joueur, un homme perdu de dettes, bref un être qui n’est pas digne que l’autre le regarde. C’est même d’ordinaire à une créature de cette espèce qu’il plaira d’insulter, car Sénèque (De constantia, 11) ajustement observé que « ut quisque contemptissimus et ludibrio est, ita solutissimæ linguæ est » (Plus un homme est méprisé, plus il sert de jouet, plus sa langue est sans frein) ; et c’est contre l’homme éminent que nous avons décrit plus haut qu’un être vil s’acharnera de préférence, parce que les contraires se haïssent et que l’aspect de qualités supérieures éveille habituellement une sourde rage dans l’âme des misérables ; c’est pourquoi Gœthe dit :

Was Klagst du über Feinde ?
Sollten Solche je worden Freunde,
Denen das Wesen, wie du bist,
Im Stillen ein ewiger Vorwurf ist ?

(Pourquoi te plaindre de tes ennemis ? Pourraient-ils jamais être tes amis, des hommes pour lesquels une nature comme la tienne est, en secret, un reproche éternel ?) — (Trad. Porchat, vol. I, p. 564.)

On voit combien les gens de cette espèce doivent de reconnaissance au principe de l’honneur qui les met de