Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/115

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supériorités, voiler notre indigence d’esprit et être supérieur à notre tour en devenant grossier et offensant. Car une grossièreté terrasse tout argument et éclipse tout esprit. Si donc notre adversaire ne se met pas aussi de la partie et ne réplique pas par une grossièreté encore plus grande, auquel cas nous en arrivons au noble assaut pour l’avantage, c’est nous qui sommes victorieux, et l’honneur est de notre côté : vérité, instruction, jugement, intelligence, esprit, tout cela doit plier bagage et fuir devant la divine grossièreté. Aussi les « hommes d’honneur », dès que quelqu’un émet une opinion différente de la leur ou déploie plus de raison qu’ils n’en peuvent mettre en campagne, feront-ils mine immédiatement d’enfourcher ce cheval de combat ; lorsque, dans une controverse, ils manquent d’arguments à vous opposer, ils chercheront quelque grossièreté, ce qui fait le même office et est plus facile à trouver : après quoi ils s’en vont triomphants. Après ce que nous venons d’exposer, n’a-t-on pas raison de dire que le principe de l’honneur ennoblit le ton de la société ?

La maxime dont nous venons de nous occuper repose à son tour sur la suivante, qui est à proprement dire le fondement et l’âme du présent code.

5° La cour suprême de justice, celle devant laquelle, dans tous les différends touchant l’honneur, on peut en appeler de toute autre instance, c’est la force physique, c’est-à-dire l’animalité. Car toute grossièreté est à vrai dire un appel à l’animalité, en ce sens qu’elle prononce l’incompétence de la lutte des forces intellectuelles ou du