Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/129

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raison, des coups. Néanmoins, la nature ne nous enseigne rien qui aille au delà d’une représaille équivalente à l’offense ; elle ne nous apprend pas à punir de mort celui qui nous accuserait de mensonge, de bêtise ou de lâcheté. La vieille maxime germanique : « À un soufflet par un stylet, » est une superstition chevaleresque révoltante. En tout cas, c’est à la colère qu’il appartient de rendre ou de venger les offenses, et non pas à l’honneur ou au devoir, auxquels le principe de l’honneur chevaleresque en impose l’obligation. Il est très certain plutôt qu’un reproche n’offense que dans la mesure où il porte ; ce qui le prouve, c’est que la moindre allusion, frappant juste, blesse beaucoup plus profondément que l’accusation la plus grave quand elle n’est pas fondée. Par conséquent, quiconque a la conscience assurée de n’avoir pas mérité un reproche peut le dédaigner et le dédaignera. Le principe de l’honneur lui demande, au contraire, de montrer une susceptibilité qu’il n’éprouve pas et de venger dans le sang des offenses qui ne le blessent nullement. C’est tout de même avoir une bien mince opinion de sa propre valeur que de chercher à étouffer toute parole qui tendrait à la mettre en doute. La véritable estime de soi donnera le calme et le mépris réel des injures ; à son défaut, la prudence et la bonne éducation nous commandent de sauver l’apparence et de dissimuler notre colère. Si en outre nous parvenons à nous dépouiller de cette superstition du principe d’honneur chevaleresque, si personne n’admettait plus qu’une insulte fut capable d’enlever ou de restituer quoi que ce soit à l’honneur ; si l’on était convaincu qu’un tort, une