Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/132

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d’en parler. Plus tard, j’apprends même que des coups de plat de lame ne sont à beaucoup près pas aussi terribles que des coups de bâton, tellement que tout récemment encore les élèves des écoles militaires étaient passibles des premiers et jamais des autres. Mais il y a plus : à une réception de chevalier, le coup de plat de lame est un très grand honneur. Et voilà que j’ai épuisé tous mes motifs psychologiques et moraux, et il ne me reste plus à considérer la chose que comme une ancienne superstition, profondément enracinée, comme un nouvel exemple, à côte de tant d’autres, de tout ce qu’on peut en faire accroire aux hommes. C’est ce que prouve encore ce fait bien connu, qu’en Chine les coups de canne sont une punition civile, très fréquemment employée même à l’égard des fonctionnaires de tous les degrés ; ce qui démontre que, là-bas, la nature humaine, même chez les gens les plus civilisés, ne parle pas comme chez nous[1].

En outre, un examen impartial de la nature humaine nous apprend que frapper est aussi naturel à l’homme que mordre l’est aux animaux carnassiers et donner des coups de tête aux bêtes à cornes ; l’homme est à proprement parler un animal frappeur. Aussi sommes-nous révoltés quand parfois nous apprenons qu’un homme en a mordu un autre ; par contre, donner ou recevoir des coups est chez l’homme un effet aussi naturel que fré-

  1. Vingt ou trente coups de canne sur le derrière, c’est, pour ainsi dire, le pain quotidien des Chinois. C’est une correction paternelle du mandarin, laquelle n’a rien d’infamant, et qu’ils reçoivent avec actions de grâces. (Lettres édifiantes et curieuses, éd. 1819, vol. XI, p. 454.) (Citation de l’auteur).