Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/131

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sera indubitablement ainsi conçu : « Allons donc ! mais alors un homme pourrait bien, Dieu nous garde ! donner un coup à un autre homme ! » À quoi je pourrais répondre, sans phrases, que le cas s’est présenté bien assez souvent dans ces 999/1000 de la société chez qui ce code n’est pas admis, sans qu’un seul individu en soit mort, tandis que, chez ceux qui en suivent les préceptes, chaque coup, dans la règle, devient une affaire mortelle.

Mais je veux examiner la question plus en détail. Je me suis bien souvent donné de la peine pour trouver dans la nature animale ou intellectuelle de l’homme quelque raison valable ou seulement plausible, fondée non sur de simples façons de parler, mais sur des notions distinctes, qui puisse justifier cette conviction, enracinée dans une portion de l’espèce humaine, qu’un coup est une chose horrible : toutes mes recherches ont été vaines. Un coup n’est et ne sera jamais qu’un petit mal physique que tout homme peut occasionner à un autre, sans rien prouver par là, sinon qu’il est plus fort ou plus adroit, ou que l’autre n’était pas sur ses gardes. L’analyse ne fournit rien au delà. En outre, je vois ce même chevalier pour qui un coup reçu de la main d’un homme semble de tous les maux le plus grand, recevoir un coup dix fois plus violent de son cheval et assurer, en traînant la jambe et dissimulant sa douleur, que ce n’est rien. Alors j’ai supposé que cela tenait à la main de l’homme. Cependant je vois notre chevalier, dans un combat, recevoir de la main d’un homme des coups d’estoc et de taille et assurer encore que ce sont des bagatelles qui ne valent pas la peine