Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/140

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le mal vénérien, par nobile fratrum ! À eux deux ils ont empoisonné νεικος και φιλια de la vie. De fait, l’influence de la maladie vénérienne est beaucoup plus étendue qu’il ne semble au premier abord, en ce que cette influence n’est pas seulement physique, mais aussi morale. Depuis que le carquois de l’amour porte ainsi des flèches empoisonnées, il s’est introduit dans la relation mutuelle des sexes un élément hétérogène, hostile, je dirais diabolique, qui fait qu’elle est imprégnée d’une sombre et craintive méfiance ; les effets indirects d’une telle altération dans le fondement de toute communauté humaine se font sentir également, à des degrés divers, dans toutes les autres relations sociales ; mais leur analyse détaillée m’entraînerait trop loin. Analogue, bien que d’une toute autre nature, est l’influence du principe de l’honneur chevaleresque, cette force sérieuse qui rend la société moderne raide, morne et inquiète, puisque toute parole fugitive y est scrutée et ruminée. Mais ce n’est pas tout ! Ce principe est un minotaure universel auquel il faut sacrifier annuellement un grand nombre de fils de nobles maisons, pris non dans un seul État, comme pour le monstre antique, mais dans tous les pays de l’Europe. Aussi est-il temps enfin d’attaquer courageusement la Chimère corps à corps, comme je viens de le faire. Puisse le XIXe siècle exterminer ces deux monstres des temps modernes ! Nous ne désespérons pas de voir les médecins y arriver, pour l’un, au moyen de la prophylactique. Mais c’est à la philosophie qu’il appartient d’anéantir la Chimère en redressant les idées ; les gouvernements n’ont pu y réussir par le maniement des lois, et du