Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/139

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moins, qui, enflammé de colère, fond sans façons à coups de couteau sur l’homme qui l’a offensé, agit d’une manière logique et naturelle : il est plus rusé, mais pas plus méchant que le duelliste. Si l’on voulait m’opposer que ce qui me justifie de tuer mon adversaire en duel, c’est que de son côté il s’efforce d’en faire autant, je répondrais qu’en le provoquant je l’ai mis dans le cas de légitime défense. Se mettre ainsi mutuellement et intentionnellement dans le cas de légitime défense ne signifie rien autre, au fond, que chercher un prétexte plausible pour le meurtre. On pourrait trouver plutôt une justification dans la maxime : « Volenti non fit injuria » (On ne fait pas tort à qui consent), puisque c’est d’un commun accord que l’on risque sa vie ; mais à cela on peut répliquer que volens n’est pas exact ; car la tyrannie du principe d’honneur chevaleresque et de son code absurde est l’alguazil qui a traîné les deux champions, ou l’un des deux au moins, jusque devant ce tribunal sanguinaire de la Sainte-Wehme.

Je me suis étendu longuement sur l’honneur chevaleresque ; mais je l’ai fait dans une bonne intention et parce que la philosophie est l’Hercule qui seul peut combattre les monstres moraux et intellectuels sur terre. Deux choses principalement distinguent l’état de la société moderne de celui de la société antique, et cela au détriment de la première, à qui elles prêtent une teinte sérieuse, sombre, sinistre, qui ne voilait pas l’antiquité, ce qui fait que celle-ci apparaît, candide et sereine, comme le matin de la vie. Ce sont : le principe de l’honneur chevaleresque et