Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/151

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Ainsi donc, pendant que l’honneur trouve le plus souvent des juges équitables, pendant que l’envie ne l’attaque pas et qu’on l’accorde même à tout homme par avance, à crédit, la gloire, d’autre part, doit être conquise de haute lutte, en dépit de l’envie, et c’est un tribunal de juges décidément défavorables qui décerne la palme. Nous pouvons et nous voulons partager l’honneur avec chacun, mais la gloire acquise par un autre diminue la nôtre ou nous en rend la conquête plus pénible. En outre, la difficulté d’arriver à la gloire par des œuvres est en raison inverse du nombre d’individus dont se compose le public de ces œuvres, et cela pour des motifs faciles à saisir. Aussi la peine est-elle plus grande pour les œuvres dont le but est d’instruire que pour celles qui ne se proposent que d’amuser. C’est pour les ouvrages de philosophie que la difficulté est la plus grande, parce que l’enseignement qu’ils promettent, douteux d’une part, sans profit matériel de l’autre, s’adresse, pour commencer, à un public composé exclusivement de concurrents. Il ressort de ce que nous venons de dire sur les difficultés pour arriver à la gloire, que le monde verrait naître peu ou point d’œuvres immortelles, si ceux qui en peuvent produire ne le faisaient pas pour l’amour même de ces œuvres, pour leur propre satisfaction, et s’ils avaient besoin pour cela du stimulant de la gloire. Bien plus, quiconque doit produire le bon et le vrai et fuir le mauvais bravera l’opinion des masses et de leurs organes ; donc il les méprisera. Aussi a-t-on très justement fait observer, Osorio (De gloria) entre autres, que la gloire fuit devant ceux qui la cherchent et suit ceux