Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/176

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autre part, et on ne le rencontre d’ordinaire que par un hasard.

2° Quand on veut évaluer la condition d’un homme au point de vue de sa félicité, ce n’est pas de ce qui le divertit, mais de ce qui l’attriste qu’on doit s’informer ; car, plus ce qui l’afflige sera insignifiant en soi, plus l’homme sera heureux ; il faut un certain état de bien-être pour être sensible à des bagatelles ; dans le malheur, on ne les sent pas du tout.

3° Il faut se garder d’asseoir la félicité de sa vie sur une base large en élevant de nombreuses prétentions au bonheur : établi sur un tel fondement, il croule plus facilement, car il donne infailliblement alors naissance à plus de désastres. L’édifice du bonheur se comporte donc sous ce rapport au rebours de tous les autres, qui sont d’autant plus solides que leur base est plus large. Placer ses prétentions le plus bas possible, en proportion de ses ressources de toute espèce, voilà la voie la plus sûre pour éviter de grands malheurs.

C’est en général une folie des plus grandes et des plus répandues que de prendre, de quelque façon que ce soit, de vastes dispositions pour sa vie. Car d’abord, pour le faire, on compte sur une vie d’homme pleine et entière, à laquelle cependant arrivent peu de gens. En outre, quand même on vivrait une existence aussi longue, elle ne se trouverait pas moins être trop courte pour les plans conçus ; leur exécution réclame toujours plus