Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de temps qu’on ne supposait ; ils sont de plus exposés, comme toutes choses humaines, à tant d’échecs et à tant d’obstacles de toute nature, qu’on peut rarement les mener jusqu’à leur terme. Finalement, alors même qu’on a réussi à tout obtenir, on s’aperçoit qu’on a négligé de tenir compte des modifications que le temps produit en nous-mêmes ; on n’a pas réfléchi que, ni pour créer ni pour jouir, nos facultés ne restent invariables dans la vie entière. Il en résulte que nous travaillons souvent à acquérir des choses qui, une fois obtenues, ne se trouvent plus être à notre taille ; il arrive encore que nous employons aux travaux préparatoires d’un ouvrage, des années qui, dans l’entre-temps, nous enlèvent insensiblement les forces nécessaires à son achèvement. De même, des richesses acquises au prix de longues fatigues et de nombreux dangers ne peuvent souvent plus nous servir, et nous nous trouvons avoir travaillé pour les autres ; il en résulte encore que nous ne sommes plus en état d’occuper un poste enfin obtenu après l’avoir poursuivi et ambitionné pendant de longues années. Les choses sont arrivées trop tard pour nous, ou, à l’inverse, c’est nous qui arrivons trop tard pour les choses, alors surtout qu’il s’agit d’œuvres ou de productions ; le goût de l’époque a changé ; une nouvelle génération a grandi qui ne prend aucun intérêt à ces matières ; ou bien d’autres nous ont devancés par des chemins plus courts, et ainsi de suite. Tout ce que nous avons exposé dans ce paragraphe 3, Horace l’a eu en vue dans les vers suivants :