Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/180

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II. — Concernant notre conduite envers nous-mêmes.

4° Le manœuvre qui aide à élever un édifice, n’en connaît pas le plan d’ensemble, ou ne l’a pas toujours sous les yeux ; telle est aussi la position de l’homme, pendant qu’il est occupé à dévider un à un les jours et les heures de son existence, par rapport à l’ensemble de sa vie et au caractère total de celle-ci. Plus ce caractère est digne, considérable, significatif et individuel, plus il est nécessaire et bienfaisant pour l’individu de jeter de temps en temps un regard sur le plan réduit de sa vie. Il est vrai que pour cela il lui faut avoir fait déjà un premier pas dans le « γνώθι σαυτόν » (connais-toi toi-même) : il doit donc savoir ce qu’il veut réellement, principalement et avant tout ; il doit connaître ce qui est essentiel à son bonheur, et ce qui ne vient qu’en seconde, puis en troisième ligne ; il faut qu’il se rende compte, en gros, de sa vocation, de son rôle et de ses rapports avec le monde. Si tout cela est important et élevé, alors l’aspect du plan réduit de sa vie le fortifiera, le soutiendra, relèvera plus que toute autre chose ; cet examen l’encouragera au travail et le détournera des sentiers qui pourraient l’égarer.

Le voyageur, alors seulement qu’il arrive sur une éminence, embrasse d’un coup d’œil et reconnaît l’ensemble du chemin parcouru, avec ses détours et ses courbes ; de même aussi, ce n’est qu’au terme d’une période de notre existence, parfois de la vie entière, que