Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/184

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c’est l’époque de leur arrivée qui est douteuse. Si l’on se préoccupe des deux espèces de malheurs, on n’a plus un seul moment de repos. Par conséquent, afin de ne pas perdre la tranquillité de notre vie pour des maux dont l’existence ou l’époque sont indécises, il faut nous habituer à envisager les uns comme ne devant jamais arriver, les autres comme ne devant sûrement pas arriver de sitôt.

Mais plus la peur nous laisse de repos, plus nous sommes agiles par les désirs, les convoitises et les prétentions. La chanson si connue de Gœthe : « Ich hab’ mein Sach auf nichts gestellt » (J’ai placé mon souhait dans rien), signifie, au fond, qu’alors seulement qu’il a été évincé de toutes ses prétentions et réduit à l’existence telle qu’elle est, nue et dépouillée, l’homme peut acquérir ce calme de l’esprit qui est la base du bonheur humain, car ce calme est indispensable pour jouir du présent et par suite de la vie entière. C’est à cet effet également que nous devrions toujours nous rappeler que le jour d’aujourd’hui ne vient qu’une seule fois et plus jamais. Mais nous nous imaginons qu’il reviendra demain : cependant demain est un autre jour qui lui aussi n’arrive qu’une fois. Nous oublions que chaque jour est une portion intégrante, donc irréparable, de la vie, et nous le considérons comme contenu dans la vie de la même manière que les individus sont contenus dans la notion de l’ensemble Nous apprécierions et nous goûterions aussi bien mieux le présent, si, dans les jours de bien-être et de santé, nous reconnaissions à quel point, pendant la maladie ou l’afflic-