Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/197

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l’orchestre de cors russes, déjà mentionné : et que le Ciel lui accorde la patience qu’il lui faudra !

C’est encore à ce vide intérieur et à cette nullité des gens qu’il faut attribuer ce fait que, lorsque des hommes d’une étoffe meilleure se groupent en vue d’un but noble et idéal, le résultat sera presque toujours le suivant : il se trouvera quelques membres de ce plebs de l’humanité qui, pareil à la vermine, pullule et envahit toute chose en tout lieu, toujours prêt à s’emparer de tout indistinctement pour soulager son ennui ou d’autres fois son indigence, — il s’en trouvera, dis-je, qui s’insinueront dans l’assemblée ou s’y introduiront à force d’importunité, et alors ou bien ils détruiront bientôt toute l’œuvre, ou bien ils la modifieront au point que l’issue en sera à peu près l’opposé du but primitif.

On peut encore envisager la sociabilité chez les hommes comme un moyen de se réchauffer réciproquement l’esprit, analogue à la manière dont ils se chauffent mutuellement le corps quand, par les grands froids, ils s’entassent et se pressent les uns contre les autres. Mais qui possède en soi-même beaucoup de calorique intellectuel n’a pas besoin de pareils entassements. On trouvera dans le 2e volume de ce recueil, au chapitre final, un apologue imaginé par moi à ce sujet[1]. La conséquence de tout cela c’est que la

  1. Voici l’apologue mentionné ci-dessus :
      « Par une froide journée d’hiver, un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’éloigner les uns des autres. Quand le besoin de se chauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de façon qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre