Page:Schopenhauer - Aphorismes sur la sagesse dans la vie, 1880, trad. Cantacuzène.djvu/198

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sociabilité de chacun est en raison inverse de sa valeur intellectuelle ; dire de quelqu’un : « Il est très insociable, » signifie à peu de chose près : « C’est un homme doué de hautes facultés. »

La solitude offre à l’homme intellectuellement haut placé un double avantage : le premier, d’être avec soi-même, et le second de n’être pas avec les autres. On appréciera hautement ce dernier si l’on réfléchit à tout ce que le commerce du monde apporte avec soi de contrainte, de peine et même de dangers. « Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls, » a dit La Bruyère. La sociabilité appartient aux penchants dangereux et pernicieux, car elle nous met en contact avec des êtres qui en grande majorité sont moralement mauvais et intellectuellement bornés ou détraqués. L’homme insociable est celui qui n’a pas besoin de tous ces gens-là. Avoir suffisamment en soi pour pouvoir se passer de société est déjà un grand bonheur, par là même que presque tous nos maux dérivent du monde, et que la tranquillité d’esprit qui, après la santé, forme l’élément le plus essentiel de notre bonheur, y est mise en péril et ne peut exister sans de longs mo-

    les deux souffrances, jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendit la situation supportable. Ainsi, le besoin de société, né du vide et de la monotonie de leur propre intérieur, pousse les hommes les uns vers les autres ; mais leurs nombreuses qualités repoussantes et leurs insupportables défauts les dispersent de nouveau. La distance moyenne qu’ils finissent par découvrir et à laquelle la vie en commun devient possible, c’est la politesse et les belles manières. En Angleterre, on crie à celui qui ne se tient pas à cette distance : Keep your distance ! — Par ce moyen, le besoin de chauffage mutuel n’est, à la vérité, satisfait qu’à moitié, mais en revanche on ne ressent pas la blessure des piquants. — Celui-là cependant qui possède beaucoup de calorique propre préfère rester en dehors de la société pour n’éprouver ni ne causer de peine. (Note du traducteur.)